« Sombre est la nuit
Un éclair luit
Un homme fuit
Sans un bruit
Meurtre infâme
D'une femme
Qui rend l'âme
Et qui crie »
Je fredonnais les paroles de Berthold Brecht en traversant la
rue principale Amédée Gontard, dans mon petit village de Combe sur Oeillette.
Était-ce à cause de
l'obscurité qui arrivait vers 5h de l'après-midi en cette période proche du
solstice d'hiver ? Ou bien à cause d'un brouillard à couper au couteau qui
montait de la rivière proche et qui renforçait cette ambiance un peu irréelle,
un peu hors du temps, que me remontaient
ces paroles de « Mac the
Knife" . Je ressentais l'humidité lourde et poisseuse du smog londonien,
l'atmosphère glauque des bords de la
Tamise aux eaux turbides comme si je l'avais vécu.
Au-dessus de moi, on apercevait vaguement le halo coloré des
ampoules de la guirlande de Noël mise en place chaque année par la
municipalité. Je me dirigeais vers l'épicerie de la mère Michel qui en réalité
était une fille Gagnon, mariée à un Pouchard de Malabret. Le Gaston Pouchard avait succombé
il y a déjà quelques années, à une attaque cérébrale foudroyante. Depuis, elle
vivait seule avec un énorme matou blanc et noir qui se reproduisait
gaillardement dans tous les environs d'où ce nom familier de Mère Michel.
C'était une forte femme à la poitrine opulente et bien que les propositions ne
lui eussent pas manquées, elle n'avait pas voulu se remarier, préférant la
liberté de diriger seule sa vie à un compagnonnage toujours un peu pesant.
Accomplir son devoir d'épouse ne l'avait pas toujours amusé. Elle aimait la
lecture, pas les romans d'amour doucereux mais les romans policiers et la
lumière de sa lampe de chevet filtrait fort tard à travers les fentes des volets
de sa chambre donnant sur la rue.
J'allais atteindre la porte quand un cri suraigu, strident,
perça la grisaille cotonneuse, puis le silence. Un silence pesant qui me noua
la gorge et me figea sur place. L'avais-je rêvé ce cri ? J'arrivais
péniblement à décoller mes chaussures du trottoir et à avancer un pied puis
l'autre. Le battant de la porte du petit magasin était grand ouvert. Je passais
le seuil, lentement, attentif au moindre bruit anormal, sur mes gardes. Le chat
trônait sur le comptoir. En m'apercevant, il se hérissa jusqu'à doubler de
volume et feula entre ses moustaches. Il sauta prestement sur le carrelage où
il laissa l'empreinte de ses pattes et plongea dans le brouillard de la rue.
Les traces d'un rouge carmin très sombre venaient de la pièce contiguë. On
aurait dit du sang. J'hésitais à pénétrer plus avant, oppressé, retenant
mon souffle. Il fallait que je sache et
en même temps j'avais peur de ce que j'allais découvrir.
Sur la table couverte d'une toile cirée à carreaux rouge et
blanc, une passoire pleine de légumes
prêts pour la soupe du soir et des épluchures rassemblées sur un bout de
journal. Une chaise était renversée. La mère Michel gisait recroquevillée dans une tache qui
s'élargissait, glissant dans les joints
des dalles du sol. Je fus secoué d'un tremblement irrépressible.
J'entendis quelqu'un entrer dans l’échoppe, je me retournais . C'était le
pharmacien avec sa blouse blanche qui
avait sans doute perçu le cri, son commerce se situant en face, de l'autre coté
de la rue. Il se dirigea vers la forme effondrée au pied de la table et en
évitant de piétiner le liquide gluant, lui prit le pouls. Il déclara d'une voix
blanche « Elle est morte ! Allez chercher le maire, vite ».
D'autres personnes étaient entrées. Nous étions cinq ou six, les bras ballants,
incapables de prononcer une parole. Quelques minutes s'étaient écoulées
seulement depuis le cri mais j'étais prisonnier du temps qui m'avait figé comme
dans de la glace. Les paroles du pharmacien me ramenèrent dans le réel. Je
déglutis.
Le maire, en charge de la police sur la commune arriva en
courant et se mit à donner des ordres précis : prévenir le docteur Martel,
ne rien toucher, évacuer le local,
téléphoner à la gendarmerie. Il contemplait la scène, conscient de tous les
problèmes que cela allait lui causer. C'était impensable, une telle horreur
à Combe sur Oeillette, un village si
paisible. Aussi loin que pouvait remonter sa mémoire, jamais une telle chose ne
s'était produite sur son territoire.
Qui avait commis ce meurtre, car il s'agissait bien d'un
meurtre ? Elle n'avait pas pu se trancher la jugulaire seule.
Les choses suivirent leur cours. Des badauds s'attroupèrent
et commentèrent l'évènement, donnèrent leur version des faits, émirent des
hypothèses souvent complètement saugrenues. Le correspondant local de l'Hebdo
du Centre fit quelques photos. Les gendarmes prirent ma déposition et celle du
pharmacien dans le bureau du maire. Puis chacun rentra dans ses pénates. Le
froid humide avait pénétré sous mon par-dessus, je me hâtais moi aussi vers mon
logis.
Je ne mangeais pas et me couchais aussitôt mais le sommeil
n'arriva qu'au petit matin.
Nous attendons vos textes. Osez-les !
RépondreSupprimerNous attendons vos textes. Osez-les !
RépondreSupprimerd'un jeune adulte :
RépondreSupprimer- ni coupable, ni ouverture possible, ce ne peut être qu'un suicide !
-> Comment la mère Michel aurait-elle pu se trancher la jugulaire?
- dans son épicerie la machine à trancher le jambon, une ficelle qui traîne, un disque qui peut se détacher...
- Un accident alors ?
- oui, un accident...